L'offre anormalement basse dans les marchés publics #AECG
I.
Qu'est ce qu'une offre anormalement basse ?
L’article L. 2152-5 du code de la commande publique français définit l’offre anormalement basse comme celle «
dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ».
L’acheteur public est dans l’obligation d’écarter une offre anormalement basse car celle-ci «
porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public » (Conseil d'Etat, 30 mars 2017, req. n°406224).
Cependant, le rejet d’une offre comme anormalement basse doit précédée accompagnée d'une procédure préalable contradictoire.
Ainsi, lorsque l’acheteur public identifie une offre susceptible d’être qualifiée d'anormalement basse, il a
l’obligation de demander des explications au soumissionnaire.
L’article L. 2152-6 du code de la commande publique français dispose à cette effet :
«
L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses.
Lorsque une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre.
Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.
»
Dans le cadre de la procédure contradictoire préalable, "l'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter."
(Article R. 2152-3 du code de la commande publique français).
Répondre à la demande d’explications de l’acheteur public est donc
essentiel,
car
le juge administratif considère qu’une absence de précision de la part du soumissionnaire justifie l’éviction de son offre (CE, 30 mars 2017, n°406224).
La qualification d'offre anormalement basse peut également concerner le
montant de la sous-traitance comprise dans l’offre.
L’article R. 2193-9 du code de la commande publique français prévoit en effet que "Lorsque le montant de la sous-traitance apparaît anormalement bas, l'acheteur met en œuvre les dispositions des articles R. 2152-3 à R. 2152-5."
Le Conseil d'Etat a récemment jugé qu'il ressort des dispositions du code de la commande publique précitées "que,
quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé,
sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché."
(Conseil d'État, 7ème chambre, 14/03/2023, 465456)
II.
Comment le candidat peut justifier du montant de son offre ?
L’article R. 2152-3 du code de la commande publique français donne des exemples non limitatifs de justifications :
"Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants :
1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ;
2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ;
3° L’originalité de l’offre ;
4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d’exécution des prestations ;
5° L’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire.
»
Le juge administratif considère que des entreprises ne peuvent se limiter à se prévaloir de leur longue expérience et de leur qualité de précédent titulaire du marché pour justifier d'offres, qui étaient "largement inférieures" aux estimations de l'acheteur public "ainsi qu'à la moyenne des offres des autres candidats et que certains des prix unitaires qui les composaient étaient inférieurs au prix de revient" (CE, 15 octobre 2014,
Communauté urbaine de Lille, n°378434).
Le Tribunal administratif de Bastia a encore récemment jugé que la société soumissionnaire "dont l'offre apparaissait particulièrement basse en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultant des offres concurrentes, n'a pas alors communiqué le sous-détail des prix mais
s'est bornée à répondre par des explications générales sur 42 de ses tarifs, tenant notamment à la localisation de ses moyens, à son expérience et à ce qu'elle possède " presque à chaque fois une partie des données () demandées ", sans toutefois assortir ses réponses d'éléments chiffrés. Certains des prix n'ont au demeurant fait l'objet d'aucune justification devant la CAPA, à l'instar, notamment, de l'absence de plus-value en cas d'intervention de nuit.
Ainsi, les éléments de réponse donnés par la SELARL Agex ne sont pas suffisants pour que le prix global qu'elle a proposé ne soit pas regardé, d'une part, eu égard à l'ensemble des coûts nécessaires à la réalisation des prestations en cause, comme manifestement sous-évalué et, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, comme susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, la SELARL Agex n'est pas fondée à soutenir qu'en écartant son offre comme anormalement basse, le pouvoir adjudicateur aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation."
(TA Bastia, du 09-05-2023, req. n° 2300430)
L'article R.2152-4 du code de la commande publique français prévoient que l’acheteur public
"rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants :
1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ;
2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient en matière de droit de l'environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables, par le droit de l'Union européenne ou par les stipulations des accords ou traités internationaux mentionnées dans un avis qui figure en annexe du présent code."
Tout tiers susceptible d’être lésé, dans ses intérêts, par la passation ou les clauses du contrat peut saisir le juge administratif afin de contester la validité du contrat.
Le tiers doit démontrer que ses intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine.
Le tiers ne peut invoquer que les vices du contrat en rapport direct avec l’intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d’une telle gravité que le juge devrait les soulever d’office.
Le juge administratif n’annule le contrat que si cette annulation n’est pas
de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général.
En d’autres termes, seuls les vices les plus graves peuvent permettre l’annulation du contrat.
Par ailleurs, l’introduction du recours en annulation est enfermée dans un délai de
deux mois à compter de la publicité du marché public.
Le candidat évincé peut saisir le juge administratif d’un recours indemnitaire, afin d’obtenir la réparation du préjudice né de son éviction (Conseil d'Etat, avis 11 mai 2011,
Sté Rebillon Schmitt Prevot, req. n°347002).
La Cour administrative d'appel de Marseille a eu l’occasion de rappeler que
cette procédure pouvait être utilisée par le candidat dont l’offre avait été jugée anormalement basse (CAA Marseille, 27 janvier 2020, n°18MA02886).
Cette demande indemnitaire peut être présentée
– Soit dans des conclusions accessoires à l’occasion d’un recours en annulation ;
– Soit dans un recours indemnitaire indépendant.
Dans ce dernier cas, le candidat évincé doit démontrer que son préjudice est né de l’illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
Un recours indemnitaire peut permettre d’obtenir (Cour administrative d'appel de Paris, 31 mars 2021, n°18PA02799) :
– L’indemnisation du manque à gagner si le candidat disposait d’une chance sérieuse de remporter le marché ;
– Le remboursement des frais de présentation de son offre s’il n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le marché.
IV.
Quels moyens invoquer pour contester le rejet de son offre ?
Trois moyens sont couramment utilisés afin de contester
la décision rejetant l'offre présentée au motif de son caractère anormalement bas.
La carence de l’acheteur public qui ne sollicite pas du candidat évincé des
explications quant au caractère anormalement bas de son offre
est sanctionnée par le juge administratif.
Le Tribunal administratif de Lille a considéré, dans une décision Société Nouvelle SAEE n°0800408 du 25 janvier 2011, que les dispositions de l’article L. 2152-6 du code de la commande publique «
ont notamment pour objet de permettre à la société évincée de contester le rejet qui lui est opposé ; qu’il en résulte qu’une méconnaissance de l’obligation de communication qui incombe au pouvoir adjudicateur
constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de léser cette société en l’empêchant de contester utilement le rejet de son offre ».
En cas de défaut de motivation, le juge administratif considère que le rejet opposé au candidat évincé constitue un «
manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence » (Conseil d'Etat, 29 octobre 2013,
Département du Gard, n°371233).
Cependant le défaut de motivation peut être régularisé. Cette régularisation peut intervenir en cours de procès par la communication par l'acheteur public des motifs de la décision de rejet opposée au soumissionnaire.
Mais cette communication doit avoir lieu
avant que le juge ne statue dans un
délai suffisant pour permettre au candidat évincé de «
contester utilement son éviction
» (Conseil d'Etat, 29 octobre 2013,
Département du Gard, n°371233).
- L'erreur manifeste dans la qualification d'une offre "anormalement basse"
"Un prix faible ne peut être considéré, à lui seul, comme une preuve de l’insuffisance technique ou financière de l’offre présentée par une entreprise."
(Conseil d'Etat, 7 / 10 SSR, du 15 avril 1996, 133171)
Le juge administratif a également considéré à plusieurs reprises que
l’offre anormalement basse devait être appréciée au niveau du prix global (CE, 13 mars 2019,
Société Sepur, n°425191 ; CAA Marseille, 27 janvier 2020, n°18MA02886).
La jurisprudence récente rappelle que "Le caractère anormalement bas ou non d'une offre
ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres
que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché." (voir Conseil d'État, 7ème chambre, 14/03/2023, 465456)
La Cour de justice des communautés européennes (aujourd'hui CJUE) a déjà jugé que le prix faible "peut résulter de la compétitivité des entreprises, de leur productivité, de leur compétence technique et de leur santé financière, de leur structure de coûts ou de leur recours à des innovations. Dans ces hypothèses, le prix proposé, bien que plus bas que celui des autres opérateurs économiques, n’affecte pas le jeu normal de la concurrence" (CJCE, 15 mai 2008, SECAP c/ Commune di Torino et Santorso Soc. coop arl., Aff. C-147/06 et C-148/06, pt. 26)
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